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  • Photo du rédacteurMaître Sophie Bellier

OPPOSITION A MARIAGE - Ou quand le Ministère Public confond contrainte et liberté religieuse

Deux jeunes gens décident, après 6 ans de relation amoureuse, de franchir le cap du mariage avec l’intention, peu critiquable à première vue, de fonder une famille et de vivre heureux.

Sauf que…ces deux là sont membres de l’Eglise adventiste du septième jour, que la future épouse a changé de religion pour adopter celle de son conjoint et que tous les deux placent la religion au centre de leur vie.

Un tel comportement dénote dans une société consumériste, athée et libertaire. Pour eux, pas de shopping frénétique dans les galeries commerciales le samedi, pas de projet d’acquisition d’un pavillon propret, pas de signes extérieurs de richesse, pas de sorties festives. Bien pire ! Des convictions religieuses les conduisant à ne pas vivre ensemble avant le mariage, à prier, à se nourrir frugalement et se vêtir simplement.

Tout cela ne peut qu’alerter l’Officier d’état civil qui, horrifié par tant de religiosité, saisit le Procureur de la République et lui fait part de ses doutes quant à la réalité de l’intention matrimoniale de la jeune femme. Ces inquiétudes sont relayées par la famille de celle-ci, expliquant à demi-mot que la future mariée, en embrassant la religion adventiste du septième jour, aurait perdu toutes ses facultés de jugement et de discernement.

Une précision en passant : l’Eglise adventiste du 7ème jour est une association cultuelle née au Etats-Unis au XIXème siècle, branche du protestantisme centrée sur l’attente du retour du Christ à la fin des temps, au jour dernier. Elle ne fait pas l’objet d’une surveillance particulière par le Ministère de l’Intérieur pour « dérives sectaires ».

Fort de procès-verbaux d’enquête mettant en lumière la place prépondérante de la religion dans la vie de ce jeune couple et les inquiétudes de la famille, le Procureur de la République s’oppose au mariage sur le fondement des dispositions des articles 146 et 180 du code civil (1) (2), au motif que la jeune femme serait sous l’emprise d’une religion qui l’empêcherait de donner à son mariage un consentement libre et éclairé et serait uniquement fondé sur ce que préconise sa religion.

Les accédants au mariage saisissent le Tribunal Judiciaire de SAINT BRIEUC aux fins de voir ordonner la mainlevée de ladite opposition.

Ils font alors valoir que la législation sur le mariage repose sur le principe fondamental de la liberté au mariage, composante de la liberté individuelle (Décision du Conseil Constitutionnel en date du 13/08/1993), protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 et de la liberté personnelle (Décision du Conseil Constitutionnel en date du 20/11/2003)

Dès lors, en raison de l’atteinte grave que porte ladite opposition au principe fondamental de la liberté au mariage, seuls des motifs légitimes et sérieux ayant essentiellement trait au contrôle de l’existence et de la réalité du consentement peuvent justifier, sans méconnaissance du droit au mariage, l’opposition du ministère public.

En l’espèce, le Procureur de la République près le Tribunal Judiciaire de SAINT BRIEUC justifie son opposition par le fait que la religion adoptée par la future mariée, entraînant une modification dans ses comportements, constituerait une contrainte et vicierait son consentement à mariage.

Les deux jeunes gens ne contestent pas avoir adopté une observance stricte des principes de leur religion et que leur projet de mariage répond à ceux-ci mais cela en toute liberté de conscience.

Dès lors il ne saurait y avoir immixtion de l’Etat en vertu des dispositions de l’article 1er de la loi de 1905 : « la République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public. »

La Convention Européenne des droits de l’Homme mentionne en son article 9 que « la liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et liberté d’autrui. »

En l’espèce, le ministère public est bien en peine de démontrer que la future mariée serait sous l’emprise d’une religion qui abolirait toutes ses facultés de discernement.

C’est ainsi que très logiquement le Tribunal Judiciaire de SAINT BRIEUC ordonne la mainlevée de l’opposition à mariage aux motifs que :

« La République assure la liberté de conscience et garantit le libre exercice des cultes et qu’en vertu de l’article 9 de la CEDH, toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, ce qui implique la liberté de changer de religion ou de conviction ains que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissements des rites.

Dès lors qu’il n’est pas rapporté la preuve de l’existence d’indices sérieux permettant de penser que le consentement de madame X serait vicié voire inexistant, il doit être considéré que son changement de religion comme les pratiques religieuses qui sont les siennes et qu’elle partage avec son futur époux relèvent de la liberté de conscience. » (3)

Munis de ce jugement dont le Ministère Public n’a pas relevé appel, les fiancés courent à la mairie de Saint Brieuc faire à nouveau publier les bans.



(1) Article 146 du code civil : « Il n’y a pas de mariage lorsqu’il n’y a point de consentement. »

(2) Article 180 du code civil : « Le mariage qui a été contracté sans le consentement libre des deux époux, ou de l’un d’eux, ne peut être attaqué que par les époux, ou par celui des deux dont le consentement n’a pas été libre, ou par le ministère public. L’exercice d’une contrainte sur les époux ou l’un d’eux, y compris par crainte révérentielle envers un ascendant, constitue un cas de nullité du mariage. (…) »

(3) Jugement Tribunal Judiciaire de SAINT BRIEUC en date du 13 novembre 2020

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